Presse-Christophe-de-Quenetain-Le-Telegramme

Le Télégramme

2018

Claire Steinlen, « Christophe de Quénetain. « L’art ancien revient en force ! » », Le Télégramme n° 3739, 11 août 2018 :

« Premier Français et plus jeune candidat à avoir été nommé président de la Tefaf (The european fine art fair), la plus grande foire d’antiquités au monde qui se tient chaque année à Maastricht puis à New York, le Breton Christophe de Quénetain, 43 ans, est avant tout un marchand d’art passionné d’objets rares, qui habite entre Londres et Paris. Il décrypte les tendances du marché.On a l’impression que l’art arrive dans des endroits inédits, comme les centres commerciaux ? Oui, l’industrie du luxe utilisait déjà l’art contemporain pour vendre ses produits. Mais la nouveauté, c’est qu’on le voit aussi aujourd’hui dans les grands programmes immobiliers. On met une sculpture d’un grand artiste dans le lobby de l’immeuble ou autour de la piscine. Ça sort du lot et ça rend le bien unique, comme Murakami chez LVMH. Comment est née votre passion ? Par ma grand-mère, qui avait beaucoup de goût. Et son oncle accueillait le peintre Juan Gris dans leur maison, à Collioure (Pyrénées-Orientales). Deux des plus beaux tableaux de l’artiste y étaient accrochés et enfant, j’aimais les admirer.C’est la peinture qui vous a fasciné ? Pas seulement. Pour terminer sur les inspirations familiales, le père de mon beau-père était un grand copain de Le Corbusier et du peintre Jean Lurçat, qui est aussi l’homme qui a relancé l’industrie de la tapisserie en France. Chez lui, on discutait beaucoup d’art. Souvent, on y déjeunait en famille, tout le monde repartait et je passais avec lui tous mes samedis après-midi, à partir de 12-13 ans. Vous avez votre propre galerie ? Non, je suis « marchand en chambre » mais rassurez-vous, je ne reçois pas en pyjama ! J’ai des objets d’art, des meubles du XVIIIe – ma spécialité – et un peu de sculpture. Quand je ne les montre pas à mes clients en rendez-vous, je les expose deux fois par an, à Maastricht et à New York. Quels sont vos clients ? Ceux qui viennent à Maastricht ou qui me sont envoyés par des conservateurs de musée ou par le bouche-à-oreille. Et plus globalement, les grands musées internationaux, les banquiers d’affaires, des princes du golfe, des empereurs du BTP, des grands joailliers, des rois du private equity ou de grands mécènes… Comment devient-on marchand ? Je suis passé par l’École Boulle, pour le côté pratique et comprendre comment était fait un meuble, ce qui permet d’être meilleur dans l’expertise et de converser avec les restaurateurs. Puis l’École du Louvre, c’est un passage obligé, c’est la meilleure formation au monde en histoire de l’art. Je me suis spécialisé en histoire des arts appliqués à l’industrie et ameublement des grandes demeures. Pourquoi je n’ai pas choisi la peinture ? Je n’en sais rien ! J’ai enchaîné avec deux thèses, l’une à l’École pratique des hautes études, l’autre à la Sorbonne.Les débuts sont durs ?Oui, il faut se constituer son stock. Je me levais avant l’aube, j’arrivais aux puces à 5 h, tous les vendredis matin, pour acheter le premier les objets qui arrivaient, « au cul des camions », comme ont dit. Mais malgré mon assiduité, je n’ai jamais rien trouvé ! Aujourd’hui, comment fonctionnez-vous ? Je me renseigne beaucoup. Quand un objet est mal catalogué, quand les maisons de ventes ne connaissent pas leur provenance, quand on me dit que ça vient du XIXe et que je peux démontrer que c’est du XVIIIe. Mon métier, c’est de trouver les erreurs des uns et des autres. Vos plus belles ventes ? La prochaine ! Sinon, je suis très fier du « Chat de Madame de Pompadour » (photo ci-contre) dont on m’a confié la vente. Une céramique chinoise achetée en Europe par un marchand mercier (marchand de luxe du XVIIIe). Celui-ci l’a ensuite vendue à Madame de Pompadour. Personne ne savait ce que c’était. J’ai aussi vendu des plats en faïence au Met, le grand musée de New York. Et ces pièces du XVIIIe ont un public ? L’art ancien revient en force ! Après le mobilier des années 50, on redécouvre aujourd’hui le classique. Les gens ne veulent plus de total look, ils préfèrent mixer et panacher. Ils achètent une commode XVIIIe avec un tableau de Francis Bacon dessus, ça permet de ne pas avoir le même mobilier que tout le monde, c’est l’avantage de l’art ancien. Marqueterie, laque, bronze doré, marbres, pierres, céramique, c’est un style et des matériaux très variés. D‘ailleurs, Peter Marino, le plus grand décorateur au monde, l’architecte de LVMH et Chanel, achète aujourd’hui des objets du XVIIIe pour redécorer les boutiques des deux marques ! Les grands marchands d’art ancien ont toujours été férus d’art contemporain. Mais à des prix accessibles ? Bien sûr, on trouve des pièces uniques mais aussi du mobilier de château sur internet, des canapés Louis XV moins cher que chez Conran. Un secrétaire Louis Philippe, ça vaut 200 ou 300 € dans les ventes et ça évite d’avoir l’intérieur de tout le monde. Les prix s’envolent aussi ! Oui, comme le marché de l’art ancien (jusqu’au XIXe) redevient à la mode, les prix repartent à la hausse, notamment sur les peintures « caravagesques » qui parlent à un public de gens jeunes, parce que ce sont des œuvres très fortes (des Christ écartelés, des squelettes) mais aussi des sculptures en bronze de la Renaissance, qui ont le vent en poupe. Les artistes comme Damien Hirst et Jeff Koons en achètent, c’est très scénographique, ça apporte une présence très forte dans une pièce. Tom Hill (le fondateur du fonds Blackstone) possède par exemple une très grande collection du peintre américain Cy Twombly, d’art contemporain et de bronzes. Aujourd’hui, les gens sont plus collectionneurs de chefs-d’œuvre que collectionneurs d’une époque. Qui peuvent atteindre des sommes incroyables. Quels sont les derniers records de vente ? Il y en a eu plusieurs depuis l’automne. Mais le record va au Léonard de Vinci, « Salvator Mundi » , qu’a acheté l’Arabie Saoudite pour la somme de 450 millions d’euros ! Le tableau le plus cher au monde, installé au Louvre Abu Dhabi. Aujourd’hui, les vendeurs comme Christie’s utilisent les méthodes de marketing aussi sur l’art ancien, de la même manière qu’ils l’ont fait pour des artistes contemporains comme Jeff Koons. (…) »