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La Tribune de l’Art

2017

Bénédicte Bonnet Saint-Georges, « Musée des Beaux-Arts de Montréal : les dernières acquisitions du département des arts décoratifs », La Tribune de l’Art, 19 juin 2017 :

« – Acquisitions – Montréal, Musée des Beaux-Arts – Le Musée des Beaux-Arts de Montréal constitue progressivement, depuis quelques années, un bel ensemble de porcelaines des années 1790 à 1830. Ce sont plusieurs pièces de Sèvres du Premier Empire qui ont récemment enrichi les collections. Une paire de vases fuseaux tout d’abord (ill. 1 et 2) a été achetée aux experts Camille Leprince et Michel Vandermeersch qui collaboraient avec Christophe de Quénetain lors de la foire de la Tefaf à Maastricht en mars 2017. Cet achat s’est fait grâce à l’aide de Madame Marie Pineau ; décédée en janvier 2017, celle-ci a légué une somme d’argent destinée à compléter le département des arts décoratifs du musée. Ces deux vases, fabriqués en 1805-1806, ornaient le palais de Napoléon à Milan sans que l’on sache où ils se trouvaient précisément. La forme dite en « fuseau » fut élaborée par Alexandre Brongniart en 1800, la taille pouvant varier selon trois hauteurs différentes. Ceux-ci sont décorés d’un fond « caillou » ou vert antique, imitant la pierre, rehaussé d’arabesques, d’étoiles et d’entrelacs dorés. Sur la panse, deux cartouches hexagonaux présentent une figure allégorique d’un côté, de l’autre un trophée. La base est ornée d’une frise de feuillage stylisé, tandis que le goulot et le pied arborent des dorures en relief, rares dans la porcelaine de Sèvres d’époque impériale. Sylvain Cordier1 signale un dessin de l’ornemaniste Charles-Eloi Asselin conservé dans les archives de la manufacture et daté de 1804, très proche de ces deux pièces, sur lequel on retrouve notamment le cartouche central et les feuillages à la base. PNG – 894.2 ko 1. Vases fuseaux : Le Feu et l’Eau Manufacture de Sèvres, 1806 Porcelaine – 37, 5 cm Montréal, Musée des Beaux-Arts Photo : Leprince-Vandermeersch Voir l’image dans sa page JPEG – 173.5 ko 2. Vases fuseaux Manufacture de Sèvres, 1806 Porcelaine – 37, 5 cm Montréal, Musée des Beaux-Arts Photo : Leprince-Vandermeersch Voir l’image dans sa page Les allégories incarnées par des figures féminines évoquent deux des quatre éléments : l’Eau et le Feu. Elles ont été conçues par le peintre Nicolas-Denis Delafosse qui travailla pour Sèvres entre 1805 et 1815. Il mêle ici les références traditionnelles à des éléments plus modernes. L’Eau est assise sur une jarre renversée, elle tient le trident de Neptune et un filet de pêcheur. Le Feu a l’apparence d’une femme à la chevelure blonde qui se déploie comme les rayons solaires ; elle tient le foudre de Jupiter, et porte un drapé vert maintenant autour de sa taille des gerbes de blé et de la vigne qui rappellent l’importance du soleil pour l’agriculture. La femme pose le pied sur une planète de lave et la main sur un four à céramique. Elle n’est pas sans rappeler la figure d’Apollon qui apparaît au centre de la table des Saisons à laquelle participa Delafosse. Sylvain Cordier rapproche surtout cette composition de la figure de l’Été conçue en 1800-1802 par Anne Louis Girodet pour le cycle des saisons destiné au cabinet de platine du roi d’Espagne au palais d’Aranjuez : Girodet choisit un personnage masculin, mais on retrouve la chevelure blonde, la ceinture verte, les blés, la source incandescente aux pieds du personnage. Une seconde version de l’Été réalisée en 1814 par Girodet est semblable, qui décore le château de Compiègne. On peut difficilement en déduire qu’un des deux artistes a influencé l’autre ; plus probablement ont-ils puisé dans la même source d’inspiration qui est le Dictionnaire de la Fable, publié en 1801 puis en 1803 sous la direction de François Noël, et dans lequel on trouve une notice consacrée aux allégories des Saisons. Ces porcelaines ne sont pas des exceptions dans la production de Sèvres de l’époque. Deux vases représentant l’Air et la Terre faisaient écho au Feu et à l’Eau, mais semblent toutefois avoir été réalisés indépendamment, et furent livrés au roi de Wurtemberg en 1806. On peut rapprocher ceux-ci d’une autre paire, au Palais de Compiègne, fabriquée 1806 et illustrant la Victoire et la Paix peintes par Dequelly selon une iconographie proche de l’Air pour la Victoire et de la Terre pour la Paix. Enfin, deux vases créés en 1805 sont ornés de nymphes volant dans des nuées, assez comparables aux allégories du Feu et de l’Eau de Delafosse, mais peintes cette fois-ci par Marie Victoire Jacquotot (conservée à Versailles). JPEG – 33.8 ko 3. Glacière à têtes d’éléphants du service de dessert à marly d’or avec lauriers peints en gris, têtes dans le genre camée, Manufacture de Sèvre 1809 Porcelaine – H. 33,8, D. 22,4 cm Montréal, Musée des Beaux-Arts Photo : Aveline Voir l’image dans sa page JPEG – 22.4 ko 4. Glacière à têtes d’éléphants du service de dessert à marly d’or avec lauriers peints en gris, têtes dans le genre camée, Manufacture de Sèvre 1809 Porcelaine – H. 33,8, D. 22,4 cm Montréal, Musée des Beaux-Arts Photo : Aveline Voir l’image dans sa page Autre acquisition faite par le musée auprès de Camille Leprince qui présentait cette pièce à l’occasion de l’exposition « Imperial & Royal » qu’il a organisée en collaboration avec la galerie Aveline à Paris en septembre 2016 : une glacière dont les anses ont la forme de têtes d’éléphants (ill. 3 et 4). Là encore, cet achat a été possible grâce à l’aide financière d’un mécène, Madame Huguette Wieder, en hommage à son mari2. Cette glacière appartient au service « de dessert à marly or avec lauriers peints en gris, têtes dans le genre camée » qui fut fabriqué à deux reprises : le premier exemplaire en 1808-1809 a été offert au comte Nicolas Petrovitch Roumiantsev, alors ministre des affaires étrangères russe ; le second dont provient cette pièce, a été fabriqué en 1809 et donné par Napoléon à Frédéric Auguste Ier, roi de Wurtemberg, lors de sa visite à Paris en 1806 après que l’empereur français eut érigé le duché de Wurtemberg en royaume en 1805. On conserve très peu d’éléments de l’un ou de l’autre service, deux assiettes du premier sont à l’Ermitage ; du second restent cette glacière (qui formait une paire avec une autre aujourd’hui disparue) ainsi qu’une assiette en collection privée, et peut-être deux sucriers, également en mains privées. Si les assiettes étaient ornées de têtes en camée, la glacière présente des figures en pied dans des médaillons : d’un côté le dieu Mercure avec son caducée, de l’autre le héros Persée tenant la tête de Méduse. Selon Sylvain Cordier, l’auteur des camées est probablement Marie-Victoire Jacquotot et la source d’inspiration se trouve sans doute dans l’ouvrage du comte de Caylus publié en 1752, Recueil d’antiquité égyptiennes, étrusques , grecques et romaines, dont la planche XXXIX reproduit un vase étrusque avec le personnage de Persée et la planche XLV un camée orné de L’Enlèvement du Palladium avec une figure à la pose très proche de celle de Mercure. Le fond cherche à imiter le porphyre, et la forme est dérivée de la glacière « à gorge » conçue par Alexandre Brachard en 1806. Les têtes d’éléphant se retrouvent dans d’autres services, celui offert au cardinal Fesch en 1811, celui orné de paysage, également de 1811 ou encore celui « à guirlande de fleurs sur fond d’or, groupe de fleurs au milieu des assiette » (1808). Peut-être le motif est-il dérivé du vase rocaille élaboré par Jean-Claude Duplessis dans les années 1750 et alors adapté au goût néoclassique. On retrouve, la tête d’éléphant, plus richement parée dans le vase Clodion de 1817. JPEG – 42.4 ko 5. Walter Gropius (1883-1969) Commode, vers 1911-1912 Bois de rose, bronze – 104 x 180 x 61 cm Montréal, Musée des Beaux-Arts Photo : MBA Montréal Voir l’image dans sa page JPEG – 29.6 ko 6. Walter Gropius (1883-1969) Commode, vers 1911-1912 Bois de rose, bronze – 104 x 180 x 61 cm Montréal, Musée des Beaux-Arts Photo : MBA Montréal Voir l’image dans sa page Dernière acquisition récente qui n’a cette fois-ci rien à voir avec la porcelaine Sèvres : une commode dessinée par Walter Gropius vers 1911-1912, a été donnée au musée par George Wilkes (ill. 5 et 6). Son style est inattendu, bien loin des critères du Bauhaus dont Gropius fut le fondateur. Elle n’a rien, en effet, de l’objet fonctionnel destiné à la production en série et relève davantage des mouvements Art déco et Arts and Craft à la fois, avec son décor végétal très dense sculpté sur les côtés. De grosses fleurs de tournesol et des grappes de raisin alternent avec des oiseaux dotés d’une grande queue. Elle témoigne des débuts de l’architecte avant qu’il ne devienne une figure de l’avant-garde, ainsi que des premiers pas d’un sculpteur avec qui il a collaboré pour l’occasion : Richard Scheibe (1879-1964) plus connu pour les statues monumentales en bronze qu’il réalisa par la suite. Produite par la société Herman Gerson, cette commode fut commandée en 1911 ou 1912 par un couple d’industrutiels berlinois, Albert Mendel et son épouse Toni Meyer pour leur maison de Wannsee. D’autres meubles faisaient partie de la commande, notamment une paire de fauteuils et une table basse (Musée des Beaux Arts du Canada) , des chaises pour la salle à manger dont on connaît un exemplaire. Les deux artistes collaborèrent aussi pour des pièces qu’ils présentèrent à l’Exposition Universelle de Gand en 1912 puis de nouveau en 1914. »