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La Tribune de l’Art

2016

Didier Rykner, « L’édition 2016 de la Foire de la TEFAF à Maastricht », La Tribune de l’Art, 13 mars 2016 :

« De tous les bruits concernant la TEFAF, un est sûr : deux fois par an, la foire internationale s’installera à New York, en octobre pour l’art ancien, au printemps pour l’art moderne. En attendant, comme chaque année, les arts de toutes les époques et de tous les pays s’invitent pendant dix jours à Maastricht.

Certains nous ont dit trouver cette édition plus faible que d’autres. Nous pensons qu’ils sont un peu difficiles. Quiconque aurait une bourse bien garnie et du goût pourrait repartir avec de très nombreuses œuvres. Peintures, sculptures, objets d’art, pour rester dans notre champ, dessins même, les opportunités ne manquent pas et chaque année les grands collectionneurs et les musées internationaux y font leurs emplettes. Comme à notre habitude, nous effectuons ici un choix des objets qui nous semblent parmi les plus remarquables. Cette sélection est sans doute critiquable, d’autant que nous laissons forcément de côté bien d’autres œuvres importantes.

Nous commencerons chez Yates-Trebosc-Van Lelyveld par une sculpture entièrement en or repoussé, à l’exception des pieds et des mains en or massif, un crucifix sur croix d’ébène exécuté par l’orfèvre Gaspard Mola, d’après un modèle de Giambologna (ill. 1). On connaît deux autres exemples comparables appartenant à des musées, l’un à Milan (Museo Poldi Pozzoli), l’autre à Rimini. Celui-ci est cependant plus complet puisqu’il conserve à la fois l’inscription INRI, la couronne d’épine et, à sa base, la plaque représentant la Pietà.
Chez Benappi, on ne présente pas un, mais deux tableaux de Daniele da Volterra. Ces œuvres sont « notifiées » en Italie, ce qui signifie qu’elles devront y retourner et ne peuvent pas être exportées. Certains musées américains ont dû être frustrés de ne pouvoir les acheter, surtout celle que nous reproduisons ici, La Vierge à l’enfant, le petit saint Jean-Baptiste et sainte Barbe (ill. 2)

Pour la peinture du XVIIe siècle, nous aurions aimé reproduire ici un des plus beaux tableaux de la foire, un Saint Jérôme de Mattia Preti accroché chez Jean-Luc Baroni, mais nous n’avons pas reçu la photo. Nous en retiendrons cependant trois autres. L’un est français : Le Martyre de sainte Cécile (ill. 3) de Jacques Blanchard, une grande toile récemment découverte par Éric Coatalem dans une vente anglaise (sa signature est reparue lors de la restauration). Les deux autres sont italiens, et tous deux de très grandes dimensions. Chez Fergus-Hall, on voit ainsi un magistral Hercule, peint par Ribera (ill. 4). Cette œuvre, appartenant naguère à la collection Piasecka-Johnson, avait été vendue chez Sotheby’s en juillet 2014. Elle était sale et ne nous avait pas laissé de souvenir marquant. La revoir ainsi, après le nettoyage qui en a révélé l’immense qualité, prouve une fois de plus que les bons marchands jouent un rôle essentiel dans le choix qu’ils apportent aux objets qu’ils sélectionnent, et qu’ils valorisent. Ce tableau est incontestablement un chef-d’œuvre digne des plus grands musées.
Colnaghi, dont le stand est particulièrement riche, propose une Vocation de saint Pierre et saint André par Luca Giordano (ill. 5), qui était vendue dès l’ouverture de la foire.

Revenons à la sculpture et à la France, tout en restant dans le XVIIe siècle, pour signaler chez Aaron un fragment de monument funéraire en marbre, portant des têtes de mort d’un réalisme très poussé (ill. 6). Son origine reste mystérieuse. Les tombeaux de ce type ont été largement détruits à la Révolution et si l’on connaît beaucoup d’entre eux grâce au recueil dit Gaignères, du nom du collectionneur qui fit faire des dessins des tombeaux parisiens, aucun ne présente cette composition.
Pietro Bracci, sculpteur romain du XVIIIe siècle qui fit également beaucoup de tombeaux, est également l’un des artistes qui travailla à la Fontaine de Trevi sous la direction de son architecte Nicola Salvi. Altomani & Sons présentent une magnifique terre cuite préparatoire à l’une de ces sculptures représentant un Triton domptant un cheval marin (ill. 7).

Si la foule se presse chez Talabardon & Gautier pour admirer leur Rembrandt (voir la brève du 9/3/16) et leur Jordaens, leur stand contient beaucoup d’autres œuvres d’intérêt parmi lesquelles nous avons retenu une vibrante esquisse (ill. 8) du page de du Guesclin, préparatoire à un tableau de Nicolas-Guy Brenet conservé au Louvre, Honneurs rendus au Connétable Du Guesclin.
Quant au XIXe siècle, il est également brillamment représenté à la TEFAF. Chez les Kugel, on peut admirer une œuvre fascinante qu’ils avaient, nous dit-on, montrée il y a plusieurs années mais qui n’en reste pas moins quelque chose d’exceptionnel : une esquisse à la gouache et au crayon, sans doute au dixième, d’un panorama de Paris vu depuis le pavillon de Flore (ill. 9 et 10). L’artiste, Pierre Prévost, exécuta le panorama peint qui fut ensuite montré à Vienne en 1814.

Chez Jean-François Heim, on peut voir un très beau tableau impressionniste de Paul Gauguin représentant l’église Saint-Ouen à Rouen (ill. 11).
Signalons aussi deux œuvres sans aucun doute plus mineures, mais que nous aurions bien ramenées avec nous dans nos bagages. D’abord, un tableau religieux du fort peu connu Félix Clément (ill. 12). Si celui-ci, auquel le musée de Valence consacra une exposition en 1996, est un artiste honorable, prix de Rome en 1856 ex-æquo avec Élie Delaunay, la consultation du catalogue de cette petite rétrospective ne laissait pas penser qu’il puisse réaliser un tableau comme celui-ci. Il s’agit sans doute d’un saint Jérôme, plutôt que d’un évangéliste comme le suggère le marchand Otto Naumann à qui il appartient. Indéniablement, l’artiste a été influencé par ses devanciers du XVIIe siècle.

On terminera avec un meuble allemand, présenté par Aveline & Quénétain, un bureau de pente en bois plaqué de nacre et feuilles d’argent au repoussé à rehauts or et vert, par Johann-August Nahl (ill. 14). Les meubles à décor de nacre sont particulièrement rares et celui-ci est d’un équilibre et d’une sobriété, malgré la richesse de son décor, tout à fait étonnants. Sa provenance est prestigieuse puisqu’il se trouvait dans l’hôtel de Saint Florentin, propriété des Rothschild.

Notons enfin qu’une fois de plus, on rencontre dans cette foire un nombre incalculable d’œuvres provenant du marché français, ce qui confirme que notre pays est soumis à une véritable saignée sous l’œil indifférent du ministère de la Culture. Outre les Lagrenée dont nous parlions il y a peu (voir la brève du 11/12/15), qui peuvent être achetés à Maastricht, un autre scandale, du même niveau que celui des Rembrandt, doit être signalé : l’exportation, tout à fait légale (il a obtenu son certificat d’exportation) et sans que la France lève le petit doigt pour le retenir, d’un immense (3,40 m de haut !) dessin d’architecte de la fin du Moyen Âge, sur vélin, présenté par la galerie Sam Fogg. Nous en reparlerons bientôt. »